Certains tentent de nous démontrer que l’islam est une religion uniforme : un seul Coran, une seule tradition appelée sunna, et un seul et dernier prophète en la personne de Mohammed. Néanmoins, force est de constater que celle-ci, plus que d’autres, ne fait pas exception à la règle !
Il est souvent reproché aux chrétiens les nombreux conciles ayant eu notamment pour but de canoniser la doctrine. Toutefois, l’islam est loin d’être un bon élève en la matière !
Revenons sur un sujet primordial qui a fait couler énormément de sang et d’encre, à savoir la question de la « création du Coran, parole d’Allah » (la fitna) que certains ont nommée « l’épreuve de la création du Coran ».
Les musulmans semblent aujourd’hui s’accorder sur cette question : étant la parole d’Allah, l’attribut de Dieu, le Coran est donc incréé. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, loin de là. Les tenants de la thèse de la création du Coran voyaient dans la thèse adverse une forme de polythéisme : si le Livre sacré était effectivement incréé, il devenait donc une entité divine se tenant aux côtés du Créateur et venant ainsi annuler le dogme de l’unicité (tawhid), au point d’obliger les opposants à renoncer à cette position frauduleuse sous peine de mort !
Cette controverse voit le jour à la fin de la période omeyyade, au début du IIe siècle de l’Hégire (VIIIe s. apr. J.-C.), avec l’apparition du mu’tazilisme, une fraction qui utilise la méthode rationnelle dite du kalâm ou « science de la raison », afin de comprendre le divin : selon ce courant, si Dieu nous a fait le don de la raison, c’est pour mieux l’approcher et le saisir ! À l’époque, le mu’tazilisme a joué un rôle majeur tant sur le plan religieux que politique sous le califat abbasside.
À la question « la révélation précède-t-elle la raison ou la raison explique-t-elle la révélation ? », le courant adopte le principe suivant : « La raison nous conduit à comprendre les textes religieux, non le contraire. » Le mu’tazilisme considère donc la raison comme étant la voie à emprunter pour appréhender les textes.
Cette discorde sanglante a lieu dès les débuts de l’islam. En 833, le calife abbasside Al Ma’moun décide d’effectuer une réforme et cherche à recueillir les avis de philosophes sur de nombreux sujets. Parmi eux figure cette question : le Coran est-il créé ou non ? Chaque fraction répond que le Coran est la parole véritable d’Allah, attribut éternel de Dieu et qu’il est donc incréé. D’autres, dont le calife lui-même, soutiennent toutefois le contraire : le Coran n’est pas l’attribut d’Allah à proprement parler, mais une représentation d’Allah, une image, un reflet ; par conséquent, le Livre sacré ne peut être que créé, car le considérer comme incréé reviendrait à faire de lui un autre Dieu, une entité divine en dehors d’Allah, et cela porte un nom : le polythéisme ! Ceux-ci adoptent une position radicale à l’encontre de toute représentation de Dieu ou de ressemblance de celui-ci à sa création.
Par un décret général, le calife ordonne alors que tout individu soutenant cette doctrine polythéiste sera emprisonné, fouetté, voire tué pour les plus virulents. Cette sentence perdurera bien après le calife Al Ma’moun et s’appliquera sous le règle d’Al Mu’tasim Billah puis d’Al Wathiq Billah ; elle prendra fin sous le règne du célèbre Al Mutawakkil III Allah en 861.
L’une des figures les plus influentes à l’encontre de cette pensée fut l’imam Ahmad ibn Hanbal. Emprisonné, fouetté, laissé pour mort, il reste la figure emblématique de la lutte contre le mu’tazilisme, avec son célèbre livre as-Sunnah.
1 - Les mu’tazilites
Les mu’tazilites soutiennent que le Coran est composé de textes divers et variés portant sur les obligations et les interdits, les promesses et les châtiments, la législation et les informations, et qu’il contient aussi des questions spirituelles et matérielles. Al Qadi abd al-Jabbar, l’un des piliers les plus influents du mu’tazilisme, justifie le fait que le Coran a été créé en affirmant : « Le Coran est la parole d’Allah et sa révélation. Il est créé et nouveau (non éternel). Allah l’a fait descendre sur son Prophète pour être un indicateur de sa prophétie. Le Coran est fragmenté en fonction des incidents, certaines parties en devancent d’autres, raison pour laquelle il est incorrect de dire qu’il existe de toute éternité, car ce qui existe de toute éternité est ce qui n’est suivi par rien et n’est ni précédent ni successeur, le tiers, le quart, le cinquième, etc. Comment peut-il être décrit comme étant de toute éternité ? »Le Coran est survenu (donc non présent avant cela, contrairement à l’attribut de la parole d’Allah qui est de toute éternité) ; il est créé dans une circonstance (Dieu étant en dehors des circonstances), car il est lettres, voix et écrits, à l’instar des copies du Coran qui expriment cette parole.
2 - Les traditionalistes
Les traditionalistes croient que le Coran est de toute éternité la parole d’Allah. L’imam Ahmed explique : « Le Coran est la parole d’Allah non créé. Celui qui prétend le contraire est un jahmite (Jahm Ibn Safwan) mécréant. Quant à celui qui ne prend aucune position concrète, il est pire que ce dernier. Quant à celui qui dit que sa prononciation du Coran, sa propre récitation du Coran est créée, il est aussi un jahmite sectaire. Quant à celui qui ne rend pas mécréants ces individus dans leur entièreté, il est comme eux ! »
3 - Les ibadites
Ce groupe soutient qu’il existe deux avis sur cette question : le Coran est-il un attribut d’Allah et sa parole relative à son être ou alors uniquement la copie du Coran en notre possession et donc un reflet de sa parole ? Certains d’entre eux ont dit qu’il était créé et d’autres pas.
À la lumière de cela, il est donc frauduleux de reprocher aux chrétiens les conciles et les divergences doctrinales, voire parfois l’agressivité dans ceux-ci, puisque ces débats existent aussi dans l’islam et qu’ils ont, par les armes, causé la mort de milliers de personnes et des apostasies de masse !